La providence est morte

ou quelques banalités révolutionnaires

  1. Le monde vit depuis les années 70 un mouvement contre-révolutionnaire, qui poursuit la destruction des conditions de vie passées, pour opérer la transformation cybernétique de la société. Le cadavre de l’État-providence, dont les morceaux s’arrachent en France depuis cinquante ans, n’est qu’un exemple parmi d’autres de cette tendance générale, qui aligne sur un protocole unique toutes les activités humaines.

  2. Le détournement des « réformes » est un symptôme superficiel de ce changement d’époque. D’avantages cédés pour calmer les ardeurs révolutionnaires, elles sont devenues les étapes d’un travail de sape qui durcit le contrat passé sur nos vies, et organise la bureaucratisation informatique.

  3. Le gouvernement actuel condense en un temps très court les attaques des gouvernements précédents. C’est aussi celui qui a le plus conscience de sa mission historique, la modernisation cybernétique de la société. Non que ses managers soient particulièrement intelligents. C’est simplement un signe que le capitalisme n’a plus de temps devant lui. L’état désastreux de la planète et ses propres contradictions le poussent à muter rapidement.

  4. Face à cette transformation générale, les organisateurs abrutis du mouvement social – syndicats ou autres – espèrent conserver leurs « droits » avec des moyens plus faibles que ceux par lesquels ils les ont d’abord obtenus. Ces vendus ne gagneront d’autres miettes que contraints et forcés, pour trahir une colère plus profonde. Quant à ceux d’entre eux qui sont honnêtes, ils ressemblent à des enfants sages, nostalgiques d’un État-providence qui ne reviendra pas. Ils n’ont pas compris que l’État a toujours été la propriété de la classe dominante. Qu’il s’est montré providentiel un temps donné pour maintenir la paix sociale. Ils l’opposent encore au capital et ne voient pas pourquoi ce bon père, même lorsqu’il se dit de gauche, se retourne finalement contre eux.

  5. On ne peut opposer à ce changement radical de la société qu’un autre changement désirable et adverse. Toute posture défensive sera balayée. Nous n’avons pas de « service public » à sauver. Le salariat d’État est aussi misérable que le salariat tout court. Si nous voulons vivre, c’est le travail-marchandise dans son ensemble qu’il faut abolir : sa servitude comme ses produits.

  6. Ce ne sont pas les luttes qu’il s’agit de faire converger, mais tous les possibles refoulés par notre existence concentrationnaire, retenus par le chantage à la survie, l’abrutissement spectaculaire et le simulacre cybernétique. En ce sens, la spécialisation militante n’est pas une nécessité mais un frein : elle dégoûte les dégoûtés du monde, partout où elle croit imposer sa vision stupide et bureaucratique, ses rapports à peine voilés de domination. Il s’agit de retrouver collectivement un usage du réel qui dépasse toutes les promesses de l’aliénation.

  7. L’anéantissement de l’humanité est à l’ordre du jour. L’informatique étend partout la quantification et le rapport marchand. Jamais un monde n’a été aussi unifié dans la misère et l’exploitation, et jamais la totalité n’a été si peu prise en compte. Pour que la lutte d’une classe (la plus riche) ait une chance de redevenir une lutte des classes, il faut une perspective révolutionnaire totale. Nous l’avons esquissée ici.

— 13.04.2018