La fonte des glaces

La ville lumière est morte et la grisaille d’après les « fêtes » s’installe déjà partout : tout semble en suspens dans le brouillard. Derrière le silence des rues plane un étrange flottement, comme si la conscience sentait la stase la reprendre. Le temps roule pesant comme le rocher, et beaucoup se demandent déjà quelles nouvelles privations ils devront affronter avec l’année qui vient. Triste spectacle pour qui le compare aux feux de joie de l’an dernier. Les ronds-points sont déserts.

On sent l’histoire en embuscade. Les vautours en costume bleus, les bureaucrates à foie jaune, la police, tous savent qu’ils ont dépassé les bornes de l’admissible, mais s’apprêtent fébrilement à recommencer.

Heureusement, la grève tient, souterraine. Des cadres mal inspirés l’avaient enterrée trop tôt, ils ont eu peur : ils savent que pour beaucoup la retraite n’est qu’un prétexte, et le champ de bataille plus élargi. Déjà, ils ne tiennent plus ceux qu’ils devaient diriger docilement vers la défaite. Qui pensait voir des barricades un 28 décembre ? Cette année, les humiliations sont allées bon train, alors il était temps qu’elles s’arrêtent. Mais pour le moment, elles ne sont que différées.

Que reste-t-il des lumières de l’an passé ? Quand la vie a été si vive, à quoi retourne-t-on une fois que l’on abandonne ? A la même misère, augmentée de sa conscience. Il ne reste que la nuit, pire, le gris passé de la vie courante, la répétition creuse des habitudes qui ne cache même plus les catastrophes.

Il y aurait tout à reprendre, dans ce monde où tout brûle en arrière plan, et où les ours ne peuvent plus hiberner. Et l’histoire fait déjà comme eux, elle ne peut plus retourner à son sommeil de froid. Tout se condense, il faut tout défendre et ne rien laisser : le monde n’attend pas.

— 02.01.2020