L’époque est aux faux problèmes. L’idéologie n’a pas à mentir sur tous les sujets ; elle doit seulement restreindre le champ des questions, pour qu’il ne reste à choisir qu’entre deux options qui lui sont favorables. Chacun peut ainsi avoir l’illusion de prendre parti, et se passionner pour ces alternatives inoffensives.
Par exemple, il n’y a pas de “problème du chômage”, qu’il faudrait régler par une réduction des salaires (déjà misérables) pour les uns, ou une réduction du temps de travail pour les autres. Le chômage n’est un problème que pour les exploités, parce que le capitalisme lie leur survie au travail salarié. En réalité, il n’y a que le problème du salariat ; celui d’une vie subordonnée à sa vente, d’un effort quotidien effectué dans le seul but d’accroître la richesse d’un autre, la misère de devoir être aux ordres, et les mauvais produits qui résultent d’une si horrible manière de faire. Nous vivons une période si confuse qu’il faut rappeler cette évidence : “créer” des emplois c’est élargir l’exploitation.
De même, quoique d’une façon plus anecdotique, il n’y a pas à choisir entre une fasciste et un banquier. Leur opposition révèle, plus qu’un quelconque choix populaire, les deux seules formes politiques admises par le capitalisme à son déclin. Soit, du côté du laquais de Rotschild, le visage politique de la domination du capital sur la société ; soit, du côté fasciste, la défense barbare du capitalisme qui se donne des airs de révolution.
La contestation illusoire des partis de gauche étant éliminée, il ne reste aux votants qu’à jouer la farce électorale du front antifasciste, qui parodie le procédé qu’employèrent les staliniens et les républicains pour écraser les forces révolutionnaires pendant la Guerre d’Espagne. Il s’agit d’invoquer une unité impossible pour faire face à un ennemi commun. Mobiliser la population contre lui pour éviter d’avoir à justifier, comme le disait Orwell après son voyage en Catalogne, ce pourquoi et pour qui l’on se bat. C’est un mensonge qui masque la véritable ligne de front, et le combat contre-révolutionnaire qui est le véritable objectif de cette manœuvre. Tout comme les staliniens de l’époque étaient plus acharnés à vaincre la révolution qu’à affronter Franco, cette parodie électorale du procédé s’en prend davantage aux abstentionnistes, qu’il faut faire rentrer dans le rang, qu’aux racistes eux-mêmes. C’est que les partisans de l’abstention représentent, par leur désengagement, la possibilité d’une sortie de l’alternative désespérante ; possibilité que l’idéologie s’échine justement à mettre hors de question.
Cependant, le piège prend mieux avec des prétendus communistes ou des républicains de gauche qu’avec un banquier. La ficelle est trop voyante. Beaucoup rechignent donc à se rendre à l’abattoir. Certains éprouvent même un désagréable sentiment d’impuissance. Iront-ils voter ? C’est donner leur bénédiction à l’arrogance de la finance faite homme. N’iront-ils pas ? C’est collaborer. L’élection présidentielle manifeste dès lors aux yeux de tous ce qu’elle a toujours été : un chantage au maintien de l’ordre social. Cette élection présidentielle révèle, même aux moins lucides, qu’il n’y a aucune manière électorale de s’en sortir. Elle exige de poser plus justement le problème.
La situation impose à chacun de voir que le fascisme n’est pas un parti, mais bien, si le capitalisme n’est pas vaincu, notre destin à tous, tant la classe dominante y aura nécessairement recours pour assurer la transition vers une société cybernétique. Que la bureaucratie à venir permettra une rationalisation marchande totale de la vie, que le nazisme a, le premier, appliquée à la mise à mort. Et plus modestement, que l’élection au suffrage universel n’est pas la démocratie ; et que la démocratie est, comme le rappelait le plus célèbre des situationnistes, incompatible avec le salariat.
N’ayez pas peur, devenez révolutionnaires.
— 01.05.2017