Salarié à vie

Le maximum de l'aliénation

Si les réponses techniques à la crise structurelle du capitalisme des années 70 ont été trouvées dans l’informatique, il reste que les institutions politiques révèlent aujourd’hui l’ampleur de leur péremption. Plus personne ne croit les partis et les gouvernants, et les discours officiels de tous bords creusent toujours plus l’abîme qui les sépare de la vie quotidienne de leurs administrés. C’est de ce hiatus et de quelques scandales que sont nés les mouvements de contestation récents, jusque là sans avoir réussi à remettre en cause l’ordre existant dans toute sa profondeur.

Notre époque est pourtant riche historiquement : au moment où l’économie politique se révèle dans la destruction du monde vivant, se joue également la fin du travail. Seulement, cette fin du travail n’est pas dissociable d’une mutation générale de la propriété. Cette mutation a touché d’abord le fonctionnement du capital : la rentabilité est moins entretenue par la production et la vente, que par la croissance d’une plus-value simulée, qui repose sur la finance et le traitement d’information. L’essor des algorithmes, des paradis fiscaux et des néo-emplois de coursiers et de chauffeurs en sont les illustrations les plus visibles.

Mais ces modifications économiques en ont également conservé et approfondi le principe : la propriété ne s’instaure qu’à la place du foisonnement organique et gratuit, qu’elle retourne en une concentration du pollué et du rentable. Aussi il doit être clair que le désastre écologique n’est pas une conséquence anodine mais malheureuse du capitalisme, mais l’effet entretenu de sa logique intrinsèque : l’accaparement et l’accumulation en un point de la société suppose la dépossession et la stérilité de son environnement.

La conscience actuelle doit découvrir que si l’on peut simuler l’argent, la valeur marchande, nos habitudes et nos loisirs, le monde, lui, existe encore. La croisée des chemins historiques où nous nous trouvons est faite de deux directions inconciliables : le maintien de la vie comme dynamique transitoire ou le maintien de l’argent, mortification cristallisée du vivant, convention humaine adossée aux intérêts de classe.

Chacune ont leur projet: un capitalisme plus étendu et plus intense, renforcé par la dégradation irréversible du vivant ; l’air respirable, l’eau potable, le sol à cultiver et la pollinisation artificielle se payeront au prix fort, entretenant le cycle propriété – spoliation – propriété, ou une société révolutionnaire, qui retournera la dynamique d’exploitation en une revitalisation durable, soumise au développement historique et à la délibération de ceux qui en ont l’usage.

Dans la lutte en cours pour l’une ou l’autre, le salaire à vie est une pièce maîtresse pour l’économie marchande, à qui il est devenu nécessaire. Nécessaire pour compenser la disparition du travail dans le progrès technique automatisé, nécessaire pour finalement retourner les loisirs consommés en activité productive par le biais de l’interface, nécessaire à l’avènement d’un nouvel esclavage fluide de la valorisation du capital informatique, réalisé dans la numérisation de toutes les actions humaines, nécessaire à l’aliénation purement positive et la surveillance généralisée qui en est la réciproque.

Cette libération promise d’une forme de travail dépassée ne permet que l’accomplissement d’une autre. Ce nouveau travail organise la fusion de la production et de la consommation, et correspond mieux au capitalisme «sans friction» de la Silicon Valley, basé sur la spéculation informatique, le salariat permanent et les employés universels.

Face à cela un programme révolutionnaire doit proclamer avec urgence : la centralité du vivant comme exception cosmique et toutes ses conséquences, l’abolition de l’économie de marché et de sa logique, pour passer de l’argent pour lui-même à la vie pour ses possibles, du désastre à une revitalisation écologique générale de ce qui nous constitue, de la dépossession à la démocratie productive de tous les aspects de la vie, dans des organisations de production et de délibération autogestionnaires et directement révocables.

Tous ceux en deçà de ces exigences se font, volontairement ou malgré eux, les alliés objectifs du totalitarisme cybernétique en cours de formation.